Utilisation de l'IBM Blue Gene/P de l'IDRIS : Le projet LQCD

Calculs de QCD sur réseau en Physique Hadronique (LQCD)

Responsable et collaborateurs : J. Carbonell1, M. Brinet1, V. Drach1, P.-A. Harraud1, O. Pène2, B. Blossier2, Ph. Boucaud2, O. Brand-Foissac2, P. Guichon3, R. Baron3 1Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie de Grenoble, CNRS/IN2P3/UJF 2Laboratoire de Physique Théorique d?Orsay CNRS/MPPU 3Service de Physique Nucléaire, Saclay, CEA/IRFU.

Résumé du projet

L'enjeu de ce projet de recherche est de contribuer à la compréhension des interactions entre particules élémentaires portant une charge de couleur (quarks et gluons). La théorie qui décrit ces interactions (« interactions fortes ») est la Chromodynamique Quantique (QCD), dont les principaux auteurs ont reçu le Prix Nobel en 2004. Le but de la QCD est d'expliquer la cohésion des noyaux ainsi que la structure des protons et des neutrons, c'est-à-dire l'essentiel de la matière visible de l'univers.

Cette théorie ne compte que sept paramètres : une masse pour chacun des 6 quarks et une constante de couplage qui règle l'intensité de l'interaction forte. Elle permet d'interpréter un nombre immense de phénomènes physiques à partir de peu de paramètres et d'un formalisme mathématique bien défini et très compact. C'est l'une des théories physiques les plus élégantes de l'histoire des sciences.

Nombreux sont les tests expérimentaux qui ont validé la QCD à haute énergie, grâce à la liberté asymptotique, qui permet d?utiliser dans ce régime la théorie des perturbations. Cependant, la QCD n'a pas été résolue analytiquement, et devient non perturbative à basse énergie. Ainsi, obtenir des prédictions quantitatives pour des phénomènes à basse énergie reste un véritable défi. Une propriété étonnante de la QCD est que les quarks et gluons n'existent pas à l'état isolé, mais seulement très fortement liés ensemble au sein d'états nommés hadrons (proton, pion,…). Dans l'approche la plus prometteuse pour résoudre la QCD dans ce domaine d?énergie, la théorie est discrétisée sur un réseau d'espace-temps et l'intégrale fonctionnelle est calculée numériquement par simulation Monte Carlo. Cette méthode (LQCD pour « lattice QCD »), est la seule approche connue à ce jour, qui permet des calculs ab-initio de quantités non perturbatives. C'est un outil fondamental pour effectuer les calculs des propriétés des hadrons, qui soient indépendants des modèles.

Objet de la recherche, problématique scientifique

Nous nous proposons dans ce projet d'utiliser les dernières techniques disponibles pour simuler la QCD avec des masses de quarks proches de leur valeur physique, principalement pour étudier la physique des hadrons. Au sein de la physique des particules, la dynamique des hadrons légers a en effet toujours été fondamentale dans la compréhension non seulement de l'interaction forte, mais aussi de la force faible. D'importantes questions concernant les paramètres fondamentaux du modèle standard, ainsi que certains effets particuliers de la Chromodynamique Quantique, font intervenir la dynamique des hadrons à basse énergie. De façon générale, les prédictions de physique des hadrons sont de la plus haute importance pour la physique des saveurs, et pour la QCD non perturbative.

La QCD sur réseau, inspirée de la Physique Statistique, consiste à représenter l'espace-temps par une grille quadridimensionnelle dont la longueur est typiquement de 3 à 5 fermis et dont la maille mesure moins de 0,1 fermi. Les gluons y sont représentés par des matrices unitaires 3x3associées à chaque lien du réseau et les quarks se propagent de site en site. Les calculs, basés sur des méthodes stochastiques, sont très longs, en particulier quand ils prennent en compte l'apparition et la disparition de paires de quarks et d'antiquarks virtuels (calculs unquenched). Ces fluctuations quantiques sont cruciales pour respecter des contraintes fondamentales de la théorie (telles que l'unitarité) mais le temps de calcul pour les traiter croît quand la masse des quarks diminue. Or, la nature possède deux quarks particulièrement légers, le u et le d, qui constituent l'essentiel des protons et neutrons.

Régulariser la QCD sur un réseau d'espace-temps laisse un large arbitraire dans le choix de l'action discrétisée, dont la limite du continu doit redonner l'action de la QCD. Les simulations de QCD sont effectuées par différentes collaborations internationales, qui utilisent chacune divers choix d'action discrétisée. Parmi ces collaborations de calculs sur réseau, la collaboration ETMC (European Twisted Mass Collaboration, http://www-zeuthen.desy.de/~kjansen/etmc/), dont nous faisons partie, est particulièrement bien placée [1]. Outre la physique hadronique, les configurations générées sur la Blue Gene/P sont ainsi exploitées aussi par les membres de la collaboration ETMC pour l?étude de sujets aussi variés que la physique des mésons, la renormalisation non perturbative, le calcul des constantes de désintégration et de la masse des quarks [2], la physique des hadrons contenant le quark lourd dit charmé ©

Caractéristiques du code et de l?implémentation sur la Blue Gene/P

Les codes que nous utilisons sont des codes écrits en langage C et développés au sein de notre collaboration ETMC. Les codes font appel aux librairies Lapack et Lime.

Les calculs se déroulent en deux parties. L'objectif de la première, la plus coûteuse numériquement, consiste à produire selon une loi aléatoire bien établie, une configuration de jauge à partir d'une autre configuration de jauge. Ces dernières décrivent les gluons, et sont constituées d'une matrice de SU(3) par lien du réseau (soit pour une configuration, un total de 1.2 Go dans le cas d'un réseau 323.64, 6.1 Go dans le cas d'un réseau 483.96). Le système part d'une configuration arbitraire (aléatoire ou pas) et plusieurs centaines de configurations sont nécessaires pour thermaliser. Plusieurs milliers d'autres sont ensuite générées, qui seront utilisées pour les mesures, i.e. pour le calcul des propagateurs, puis de diverses observables. L'algorithme utilisé pour générer les configurations est dérivé d'algorithmes de dynamique moléculaire (« hybrid Monte-Carlo » ou « polynomial hybrid Monte-Carlo ») [3].

La seconde partie du calcul consiste à calculer les propagateurs des quarks (4.8 Go pour un réseau 323.64, 24.5 Go pour un réseau 483.96) à partir de ces configurations de jauge en résolvant un large système linéaire creux (par gradient conjugué et ses variantes). Toutes les analyses, i.e. les calculs d'observables extraites en combinant les propagateurs de quarks suivant la quantité physique que l'on souhaite obtenir, se font sur des PCs ou de petits clusters.

Le parallélisme consiste à décomposer le réseau hypercubique en sous-réseaux. La décomposition se fait dans chaque direction : dans le cas d'un réseau 323.64, on utilise par exemple 8 coeurs dans la direction x, 4 dans la direction y, 4 dans la direction z, 8 dans la direction t, soit en tout 1024 coeurs de calcul. On tire profit de la qualité du réseau de communication pour échanger les données entre noeuds voisins quand le calcul le demande. L'essentiel du calcul est de l'algèbre linéaire.

Les codes ont déjà tourné efficacement sur la BlueGene/P. Le nombre de coeurs utilisés se situe entre environ 2000 et 16000 (0.5 à 4 racks). Le programme utilise pour l'instant MPI pur. Suivant la taille des réseaux et le parallélisme choisis, la mémoire utilisée par coeur varie, mais reste inférieure à 512 Mo. Par ailleurs, le code implémente des mécanismes de checkpoint/restart en sauvegardant régulièrement l'état d'avancement des calculs sur disque dur.

Description des résultats obtenus

De nombreux résultats encourageants ont déjà été obtenus par la collaboration, avec deux saveurs de quarks légers dégénérées, correspondant à des masses de pions allant jusqu'à 280 MeV [4-8]. D'autres simulations sur des réseaux plus grands, effectuées grâce aux heures dont nous avons pu bénéficier depuis juillet 2008 sur la  Blue Gene/P de l'IDRIS sont en cours et vont permettre d'atteindre une masse de pion inférieure à toutes celles obtenues jusqu'à présent par la collaboration ETMC. Ces calculs requièrent des volumes d'autant plus larges que la masse du pion simulé est petite. Ainsi le volume considéré pour une masse de pion de l'ordre de 200 MeV est de 483.96.

figure 1

Légende de l?image

Masse du nucléon obtenue dans les simulations de LQCD en fonction de la masse carrée du pion m2 ? , proportionnelle à la masse du quark u. La masse du nucléon a été corrigée d?une terme cubique m3? bien connu. Les calculs (en rouge) sont extrapolés jusqu?à la valeur physique de la masse du pion, pour donner une masse du nucléon de 929±20 MeV. Le point bleu représente la valeur expérimentale m = 939 MeV (non inclus dans l?extrapolation). La pente de la droite est le terme ?, paramètre essentiel en physique nucléaire, qui joue également un grand rôle en cosmologie en relation avec la matière noire.

Références et publications associées

  • [1] ETM Collaboration (Ph. Boucaud et al.), ?Dynamical Twisted Mass Fermions with Light Quarks: Simulation and Analysis Details?, e-Print: arXiv:0803.0224 [hep-lat].
  • [2] ETM Collaboration (B. Blossier et al.), ? Light quark masses and pseudoscalar decay constants from Nf =2 Lattice QCD with twisted mass fermions?, e-Print: arXiv:0709.4574 [hep-lat].
  • [3] C. Urbach et al , ?HMC algorithm with multiple time scale integration and mass preconditioning?, Comput. Phys. Commun. 174; 87-98, 2006. e-Print: hep-lat/0506011
  • [4] V. Drach et al., ?Partially quenched study of strange baryons with Nf =2 twisted mass fermions?, PoS(LATTICE 2008)
  • [5] R. Baron et al, ?Status of simulations with Nf =2 twisted mass fermions?, PoS(LATTICE 2008)
  • [6] R. Baron et al,?The nucleon axial charge and lowest moment <x> with Nf =2 dynamical twisted mass fermions?,  PoS(LATTICE 2008)
  • [7] C. Alexandrou et al., ?Nucleon form factors with dynamical twisted mass fermions? PoS(LATTICE 2008)
  • [8] C. Alexandrou et al. ? Light baryon masses with dynamical twisted mass fermions?, à paraître dans Phys. Rev.D